Nous cherchons tous des fondations solides. Pourtant, si nous y regardons de près, nous découvrons qu’il n’existe vraiment aucun point d’appui tel que celui-là. Au début, cette sensation fait peur. C’est pourquoi nous passons presque tout notre temps à construire une stabilité, à tracer des frontières et des limites, pour tenter de définir et solidifier notre terrain. Comme c’est épuisant et insatisfaisant ! C’est particulièrement évident quand nous sommes confrontés à un événement qui bouleverse la vie, à une urgence médicale, à un diagnostic imprévu, à une crise dans la vie de nos enfants. C’est dans ces moments que notre sens habituel du terrain est ébranlé. Souvent, c’est la condition indispensable pour entrer à la clinique du stress.
Les gens arrivent, avec un sentiment d’insécurité, mal à l’aise face aux changements dans leur vie, et désireux malgré tout de chercher un remède à cela. Ils se disent souvent choqués, en colère, découragés, déprimés, écrasés d’impuissance et de confusion. Pourtant, tous ces ingrédients sont les étincelles et le combustible nécessaires à la transformation. Les gens viennent dans un état d’agitation — ce que les médecins appellent perturbation. Cette perturbation, c’est l’absence de fondation (groundlessness) elle-même. L’éclatement de ce qui est stable, sûr, connu, et que l’on prend pour acquis. En raison de cela, ces moments peuvent également être des catalyseurs d’un développement profond et inattendu. C’est souvent là que commence le travail de la pleine conscience, et comme vous pouvez le voir dans le déroulement des cours hebdomadaires, les gens dont les conditions de santé vont d’un état où la vie est menacée à un état de malaise chronique commencent à apprendre à danser avec l’incertitude, l’utilisant comme terrain de découverte pour des possibilités jusqu’ici insoupçonnées.
De même, entrer pleinement en ce lieu avec quelqu’un d’autre exige que nous, en tant que professionnels de la santé, soyons nous-mêmes à l’aise dans cet espace. Il s’agit bel et bien d’être prêt à entrer dans un espace ouvert et sans limites, à chaque instant, et à danser au bord du chaos, tandis que l’on débusque nos tendances à errer, à reprendre nos vieilles habitudes, à remplir les espaces vides. À faire quelque chose. N’importe quoi ! Pourtant, aider, dans la perspective de la pleine conscience, veut souvent dire ne pas faire ce qui est attendu ou désiré. Pour bien faire ce travail, rien ne doit être promis, hormis la promesse de l’incertitude, le champ ouvert du possible.
PRATIQUE
Travailler avec l’incertitude
Peut-être qu’il n’y a pas de fondations solides. Peut-être que l’on perd la plus grande partie de sa vie à essayer de se créer un tel espace imaginaire. Dans les centaines de moments au long d’une journée, d’une semaine, de l’année prochaine, donnez-vous l’espace pour commencer à explorer cette notion de solidité. Observez combien de temps vous passez à essayer de construire un sens de permanence. Commencez à être attentif aux innombrables moments au sein ou en dehors de la relation thérapeutique, pendant lesquels vous tentez de construire et de fortifier un monde connu et préservé. Est-ce que cela crée plus ou moins de tension, plus ou moins de dureté, plus ou moins de joie ? Observez ce qui se passe dans le corps, et la nature des vagues qui envahissent l’esprit, quand vous vous accrochez à un tel espace. Faites l’expérience, dans le laboratoire vivant
qu’est votre vie, de ce qui pourrait se passer si vous passiez moins de temps à construire un état de stabilité imaginaire, et appreniez plutôt à chevaucher les vagues de votre vie.
Peut-être qu’il y a pour nous tous, au fond du vaste filet de nos vies, un trésor qui attend d’être découvert, et que l’on désigne généralement sous le terme d’« incertitude » !
Chapitre extrait de l’ouvrage en anglais Heal ThySelf: Lessons on Mindfulness in Medicine de Saki Santorelli